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Causerie. Lyon, 31 mars.

Un habitué des auditions musicales du Théàtrophone, si suivies à l'hôtel du Progrès, disait l'autre soir, après avoir entendu sonner la belle voix de M. Jérôme, dans l'Africaine : C'est merveilleux, tout de même ! On vous envoie maintenant les mélodies à distance, au bout d'un fil... On finira par les mettre en bouteille !

On ne les met pas précisément en bouteilles, mais il y a beau temps qu'on les vend en tablettes ! Nous apprendrons à notre concitoyen, qui paraît l'ignorer encore, que l'on fait des clichés vocaux. S'il lui prend fantaisie de faire entendre sa propre voix à un ami résidant à Chandernagor, à Chicago ou à Pékin, cela dépend de lui. L'ami en question n'aura qu'à placer dans un phonographe le cliché qu'il aura reçu, et le tour sera joué.

En fait de miracles de la science, celui-là est un des plus amusants, à coup sûr.

Notre sympathique ténor Jérôme trouverait aisément le débit de sa jolie voix par ce moyen singulier.

Il me souvient, à ce propos, que la Patti se montra très récalcitrante vis-à-vis du phonographe, après avoir fait grise mine au téléphone qui conduisait sa voix d'or jusqu'à des auditeurs placés hors du théâtre où elle chantait à raison— ou à déraison — de dix mille francs par soirée. Un industriel de San-Francisco avait recueilli au phonographe, sans son autorisation, plusieurs morceaux chantés par elle et il en donnait au rabais des auditions publiques. Il annonçait des Concerts de la Patti sans la Patti. La cantatrice invoqua la protection de la loi contre ce marchand de sons et obtint gain de cause. De ce côté-ci de l'Atlantique le cas a du reste été tranché plus d'une fois. Les tribunaux du vieux monde, comme ceux du nouveau, assimilent les reproductions au phonographe aux reproductions par la photographie, et leur appliquent le principe de la propriété littéraire et artistique.

Il s'est fait cette semaine, à Paris, une nouvelle et amusante application du cliché phonographique.

Au théâtre des Variétés, on fêtait, le verre en main, la cinquantième représentation du Nouveau Jeu, d'Henri Lavedan. Le directeur du théâtre se trouvait en Italie, mais il n'en a pas moins pris part aux toasts dans cette joyeuse circonstance. Au premier choc des verres , Albert Brasseur a demandé la parole pour son directeur, dont la voix très nette est sortie du cornet de cuivre d'un phonographe qu'on avait coiffé, pour compléter l'illusion, du légendaire chapeau de paille que l'imprésario porte invariablement dans les coulisses de son théâtre.

L'idée de ce toast était drôle ; le toast lui-même était réjouissant. On a beaucoup ri. Il y a là une indication, une idée à creuser. Nos députés en congé pourront envoyer ainsi des discours que le phonographe débitera à la tribune sans se préoccuper des interruptions.

Les rigueurs tardives de la saison n'ont pas fait de victimes seulement dans le règne végétal. La recrudescence des affections inflammatoires a été très sensible dans notre région et il y a malheureusement lieu de prévoir un certain accroissement de la mortalité.

Je rencontrai hier, rue de la République, un brave garçon de ma connaissance et qui, si on en juge d'après sa naïveté, pourrait bien appartenir à la descendance de l'illustre Calino.

Il marchait à pas comptés, sombre, la tête baissée.

Comment allez-vous ? lui demandai-je. Je vais bien, me répondit-il d'une voix lugubre. Mais vous avez une figure d'enterrement ? C'est une figure de circonstance; je viens de l'enterrement d'une de mes tantes. Pauvre dame ! et de quoi est-elle morte? Mon cher ami, tout simplement d'une inflammation d'entrailles ; mais, voyez-vous, dès le début, cette inflammation était tellement grave, que si la malheureuse femme avait pu en guérir, je ne sais vraiment pas ce qu'elle serait devenue !...

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